Eric Droussent
Les 10 questions Conf' à Eric Droussent
J’ai 52 ans, c’est il y a plus de 30 ans que j’ai commencé d’appuyer sur un déclencheur. C’est il y a une dizaine d’années que j’ai consacré du temps à la photographie. Et puis les choses se sont enchaînées assez vite. Une première exposition en 2009 en compagnie d’une vingtaine d’autres photographes. Un reportage avec Pascal Crauet réalisé avant la fermeture de la distillerie historique de Grand-Marnier, cela sera suivi d’une exposition et d’un livre. Sur les deux dernières années, j’ai eu le plaisir d’être sélectionné pour le Mont-Blanc Photo Festival, le Grand Prix de la Photographie de Saint-Tropez et de recevoir le Grand Prix de la Création 2016 de la Fédération Photographique de France pour la série « Décalage immédiat » que je vous propose de découvrir à Gex.
Mes premiers clichés étaient à l’âge de l’argentique, avec 36 poses dans le boîtier, cela permet d’apprendre à préparer sa prise de vue, apprendre à cadrer, apprendre à voir, à pré-voir… et attendre, attendre, attendre avant de voir le résultat. Pas-à-pas, l’œil s’est affûté, le geste s’est affirmé, travailler en numérique permet aujourd’hui de partager mes prises de vue, mes points de vue.
C’est une photo qui allie simultanément plusieurs qualités spécifiques. Une photo avec un excellent cadrage, mais sans harmonie des tonalités, des couleurs, des lumières, ou qui ne sous-tend pas une histoire reste en quelque sorte « une photo de plus ». Lorsqu’une image raconte une histoire, surtout si cette histoire est hors champ et pourtant pleinement lisible grâce au cadrage, aux lumières, aux ombres aux couleurs et tonalités alors il est certain d’avoir « une bonne photo ».
Les images de cette série « Décalage immédiat » ont deux types de genèses. Parfois l’objet précède l’idée, d’autres fois l’idée précède l’objet. Ainsi, il m’est arrivé de rechercher durant des mois le bon objet pour réaliser l’image que j’avais en tête. Dans d’autres cas, l’objet était à portée de regard depuis des années et « l’instant décisif » de Cartier-Bresson est pour moi l’« instant créatif » ou je perçois cet objet dans une nouvelle réalité.
C’est la vie quotidienne qui inspire ces photos : tout objet est conçu pour assurer une fonction particulière, la machine à écrire… pour écrire du texte, mais pas de la musique. De même, un moulin à café est fait pour réduire des gros grains… en fine poudre, mais pas pour « moudre » des grosses coupures en petite monnaie. C’est l’inattendu et le paradoxal qui inspire ces images : changez le quotidien bien réel de ces objets par un autre irréel, mais crédible et vous entrerez dans l’univers poétique de ces images.
Bien évidemment, je cite en premier Chema Madoz, c’est en découvrant il y a plus de 15 ans les merveilleuses photos du maître espagnol que j’ai eu envie de mettre en scène certaines idées saugrenues du même type.
Plus généralement je suis un grand fan de Noir et Blanc, Sebastião Salgado, Mario Giacomelli, William Klein, Michael Kenna, Ansel Adams, Jean-Loup Sieff. En couleur, ce sont les images de Saul Leiter, Erwin Olaf, Alex Webb, Vincent Munier que j’apprécie particulièrement.
De manière générale, la plupart des travaux que j’ai montrés jusqu’ici relèvent de photo studio ou photo de paysage. Paradoxalement, ce sont des photos de rue, sans préparation des lumières, sans temps devant soi que j’aimerai réaliser. Un moteur, la spontanéité due à l’urgence de l’instant.
J’ai encore une bonne dizaine de nouvelles images en tête pour cette série « Décalage immédiat ».
Pour cette édition, je souhaite partager un extrait de ma série « Décalage immédiat ». Être présent avec les visiteurs est aussi un grand moment de plaisir. Chacun déambule, parfois les yeux sont attirés et l’on regarde précisément. C’est alors mon moment de satisfaction je guette le sourire, je scrute l’œil malicieux du visiteur, s’ils sont présents, je sais alors que le voyage a débuté, la ceinture est attachée, le décalage est immédiat !
Cela m’évoque deux choses complémentaires.
Pour le photographe, exposer, c’est s’exposer, c’est montrer une partie de soi au regard des autres, c’est se mettre frontalement face aux visiteurs, c’est la première confrontation.
Pour le visiteur, c’est avoir face à soi différentes visions du monde, différentes réalités qui parfois s’opposent d’autres fois se complètent, avoir une variété de points de vue c’est la seconde confrontation.