Christian Izorce
© Christian Izorce 2018
© Christian Izorce 2018
Les 10 questions Conf' à Christian Izorce
1 Qu’aimeriez-vous nous dire pour vous présenter en quelques mots ?
Tout d’abord, que je suis très heureux que le festival ait sélectionné mon projet, et spécialement puisqu’il a été retenu pour la quinzaine Hors les murs, à Ferney.
Je suis passionné par l’image – et par le son – depuis l’adolescence. Garder des traces du réel, si possible d’excellente qualité, est une de mes préoccupations constantes. C’est ainsi que je me suis toujours efforcé de n’utiliser que le meilleur du point de vue technique et de pratiquer moi-même à domicile, pendant plusieurs décennies, le développement et le tirage de mes images argentiques – avec une attention scrupuleuse accordée à la restitution des contrastes, des effets de matière, des détails. Cela dit, piqué et contraste ne font pas tout ! L’inspiration et la sensibilité restent évidemment les ferments indispensables et premiers à la réalisation d’une belle image. A l’examen, c’est sans doute ce qui manque à mes clichés de jeunesse, très graphiques mais un peu superficiels, où j’évitais trop souvent la présence de l’humain…
2 Quel est votre parcours photographique ?
Assez classiquement, c’est un cadeau de mon grand-père paternel, alors que j’avais onze ou douze ans – un appareil Kodak Retina S1 que je possède toujours – qui m’a mis le pied à l’étrier de la photo. Et bien sûr, l’exemple de mon père, qui pratiquait abondamment la diapositive Kodachrome, celle qu’on envoyait dans des petites enveloppes en espérant qu’elles soient bien traitées à Sevran… J’ai vraiment commencé à m’y mettre sérieusement lorsque j’étais en école d’ingénieur, en pratiquant pour la première fois le labo photo. C’est à ce moment que j’ai commencé à investir, dans un boîtier Nikon FE2… et assez peu d’objectifs vu le niveau de prix de ce type de matériel pour mes moyens d’étudiant de l’époque. Je me souviens que faisant moi-même beaucoup de diapos, je me suis mis au labo noir et blanc un peu à contrecœur : j’aurais voulu tirer immédiatement mes images en couleur. C’était faisable bien sûr mais plus compliqué, on m’a vivement conseillé de commencer par le noir et blanc. Et ce fût pour découvrir un monde graphique et stylisé, riche de subtilités, qui permettait de réaliser des images d’un certain point de vue plus « pures ».
3 Pour vous, qu’est qu’une bonne photo ?
Pour moi, aujourd’hui, il n’y a pratiquement pas de belle image sans l’élément humain, que je m’efforce donc de faire figurer au maximum dans mes clichés. Pour faire surgir une émotion ou pour replacer un individu dans ses conditions de travail ou de vie. Mon sujet Pogbi ou la scolarisation des filles au Burkina Faso est évidemment un reflet de cette démarche. Une bonne image doit avoir un impact ou un propos : il peut bien sûr rester purement graphique ou être beaucoup plus sensible. Mais par rapport à certaines tendances actuelles, je reste attaché à une certaine forme d’académisme : il doit y avoir un cadre, une lumière, un plan de netteté et un choix approprié de profondeur de champ – qui transcendent la scène ou le sujet. Sous ces contraintes, tous les coups sont permis, ce qui laisse encore très ouvert le champ du possible ! Le photographe doit figer l’instant pour (tenter de) le sublimer.
4 Comment naissent vos prises de vues ?
Après avoir longuement pratiqué la photo argentique – et douté que l’image numérique puisse un jour la supplanter en termes qualitatifs – je suis passé définitivement au numérique depuis plusieurs années. Sur un sujet comme Pogbi, mon approche est des plus simples, car il n’était pas question pour moi de scénariser ou de chercher à tout prix l’angle spectaculaire. Mais de me concentrer sur l’essentiel dans le quotidien : l’être humain, ses activités, ses attitudes, si possible ses états d’âme. A travers des cadrages simples et le choix d’une profondeur de champ limitée, mon souhait était de mettre tour à tour chaque jeune fille (ou garçon, il y en a aussi) au premier plan, en soulignant les individualités – tout en témoignant de la vie quotidienne au foyer et à l’école. Il y a très peu de traitement dans ces images : un peu d’accentuation si besoin, quelques retouches locales d’exposition, un grand respect des couleurs (calibrage à la prise de vue). Les quelques zones surexposées qui apparaissent sur certaines images sont bien là pour rappeler que nous sommes en Afrique, le plus souvent sous un soleil écrasant (et encore, j’ai effectué mes séjours en décembre et janvier, quand la chaleur est la plus supportable pour un Européen !).
5 Qu’est-ce qui les inspire ?
Le plus souvent, une simple volonté de témoigner, de décrire – en espérant le faire sous un angle personnel, sensible ou un peu percutant. Pour en revenir à Pogbi, nous sommes tous très bien informés sur la misère, les drames dans lesquels sont plongés certains pays, certaines populations. Sans aller chercher des situations d’extrême dureté – car finalement la vie au village de Dapelogo est assez paisible – il nous faudrait plus souvent partager – et faire partager à nos enfants – des conditions de vie très différentes, bien moins favorables que les nôtres. Il est difficile d’expliquer à quel point un séjour au foyer de Dapelogo est une véritable leçon pour nous, qui bénéficions de conditions de vie sans commune mesure avec le dénuement caractéristique des zones rurales de ce pays – toujours classé comme l’un des plus pauvres du monde. Je tente de restituer cette vacuité en ne cherchant pas à remplir le cadre ni à composer l’image à tout prix. Mais également en me tenant à l’écart de tout misérabilisme systématique. Car la joie de vivre, l’énergie et l’application de ces jeunes filles dans leurs études constituent un exemple que nous et nos enfants, citoyens des pays favorisés, devrions suivre en permanence. Alors même que les espoirs de ces pogbi (jeunes femmes, en langue moré) sont parsemés de mirages de vie facile directement inspirés de quelques images assez surfaites qu’elles reçoivent de nos sociétés. Par le biais d’un vieux magazine, d’une télévision commune à tout le village ou de quelques DVD qu’elles regardent de temps à autre sur l’écran d’un rare ordinateur déclassé.
6 Quels sont les photographes que vous admirez ?
S’il fallait n’en citer qu’un, sans hésitation : Sebastiào Salgado. Mais aussi : Ansel Adams, Jean-Loup Sieff, Raymond Depardon, Irving Penn, Gregory Crewdson. Cela étant, le premier photographe dans l’Histoire est pour moi Jan Vermeer de Delft.
7 Quelle photo aimeriez-vous réaliser ?
Difficile à dire ! Partir à la rencontre d’un peuple se tenant à l’écart de la civilisation et en rapporter des images totalement inédites… Cela dit, si c’est pour déranger des personnes qui ont justement envie de vivre isolées, quel intérêt pour elles ?
8 Quels sont vos projets actuels ?
A titre personnel, c’est toujours partir, si possible loin, dans des environnements très différents de ma vie parisienne, vivre et capter la vie des personnes : l’image, mais aussi les ambiances sonores, les conversations, les musiques. Participer à d’autres projets à caractère « humanitaire » avec et grâce à la photo (et à la vidéo). Je suis très attiré par l’Asie : j’en connais (un peu) certains pays mais il me reste beaucoup d’endroits, de villages, de métiers, de rites, à découvrir.
A titre professionnel, c’est développer le tirage en sublimation sur le marché français ainsi que les activités de formation à la photo proposées par ma société.
9 Qu’avez-vous envie de nous montrer lors de la prochaine édition des Confrontations ?
Mon but final en faisant et en montrant ces images est véritablement de témoigner. De donner à voir les conditions de vie (et d’apprentissage) particulières dans un pays démuni. De montrer qu’il est possible, assez facilement, de s’impliquer personnellement, de collaborer, de participer à un projet de partage, même avec des personnes d’âge, de condition et de culture très différents. Ce type de projets est évidemment dans l’air du temps, je n’invente rien. Mais je déplore aussi que le communautarisme, le repli sur soi et le rejet de l’autre – même par des attitudes ou des paroles presque anodines – soit aussi des postures qui se développent dans nos sociétés. A mon humble niveau, je souhaite convaincre le maximum de personnes de contribuer à ces aventures, qui s’avèrent d’une grande richesse sur le plan humain. Je choisis systématiquement de citer l’association Pogbi et de détailler son action lorsque je présente ce travail, car il s’agit d’un reportage et non d’une création.
10 Pour terminer qu’évoque pour vous l’expression « Confrontations photographiques» ?
Il ne s’agit sans doute pas de se livrer bataille entre gens d’images ! Ou alors très amicalement… Mais sans doute de mettre en perspective les regards que les photographes que vous avez sélectionnés portent sur la vie, le monde. A ce titre, je suis très curieux de découvrir quels sont les autres projets sélectionnés.