Vincent Munier
© Vincent Munier 2018
Dès la fin de l’édition 2016, si riche en émotion, nous évoquions à Gex l’idée de proposer au public de l’arc lémanique une édition 2018 qu’il n’attendrait pas, une édition aux antipodes de nos invités d’honneur précédents : Jean Mohr, la Fondation Gilles Caron et la merveilleuse Sabine Weiss… Nous souhaitions finalement nous reposer la question de ce qu’est l’esprit qui préside aux Confrontations Photo. Depuis la création du festival, les dizaines d’invités auxquels nous avons posé la question de ce qu’évoquaient pour eux cette expression, nous ont parlé de flâneries, de partages, d’échanges, de comparaisons, de remises en question, de rencontres avec les acteurs de l’univers photographique mais surtout avec le public. Cédric Delsaux en 2012 écrivait même : « Sortir de ce grand ventre, parfois trop mou, de la photo qui avale tout sans renâcler »… Confronter les images implique aussi pour nous de faire cohabiter des mondes dissemblables en un ensemble harmonieux et présenter au public ce que nous aimons, c’est-à-dire une sélection cohérente d’auteurs de styles et de sujets très différents. Voici plus que jamais ce que nous souhaitons proposer cette année…
Le monde des photographes naturalistes constitue une classe à part dans l’univers de la photographie. Il a ses usages propres, ses codes, son matériel, ses concours, ses revues, ses festivals même. Peut être est-ce pour cela que ses très nombreux acteurs, plébiscités à juste titre par le grand public, sont peu présents sur la scène artistique contemporaine, alors même qu’on assiste depuis quelques années, à l’émergence dans les galeries d’un art épuré du portrait animalier. Certains auteurs, tels Vincent Munier se sont cependant fait une place à part dans tous les milieux, proposant une démarche épurée ou l’esthétisme ne cède jamais la place à la tentation d’un naturalisme académique.
© Vincent Munier 2018
Très jeune, Vincent Munier s’est pris de passion pour la nature dans ses Vosges natales au côté de son père, Michel Munier, lui-même naturaliste. Il réalise ainsi ses premières photographies à l’âge de douze ans. Ses voyages dans les contrées les plus reculées, et souvent les plus froides de la planète, ne lui ont cependant jamais fait oublier la Lorraine qu’il affectionne particulièrement. Et depuis 2002, ils n’ont fait que renforcer sa volonté de mettre en avant les espèces menacées. Sa démarche se veut donc toujours discrète, forcément respectueuse de l’environnement qu’il pénètre. Ici, nulle expédition pléthorique, mais des immersions en autonomie. Vincent Munier voyage le plus souvent seul, souhaitant ne laisser de son passage que l’infime trace qui saura ne rien perturber. Il n’impose pas ce que l’humanité peut avoir d’incongru dans un milieu fragile, mais se fond en lui avec humilité et respect pour permettre l’instant rare. Il en fut ainsi en 2013 avec ces loups en meute qu’il rencontra dans l’Arctique canadien ou en 2016 avec la panthère des neiges, si rare, qu’il sut approcher lors d’un voyage au Tibet.
De ses voyages, Vincent Munier rapporte et nous offre des photographies pures, grandioses et esthétiques : faune apaisée, gros plans animaliers, lacs gelés sous des ciels lourds qui n’ont de dramatique que l’idée romantique qu’on s’en fait. Evoquer le travail de Vincent Munier, c’est se remémorer des images de froids aussi grands que les prédateurs qui les hantent, et c’est ressentir ces immensités glacées où les acteurs sauvages ponctuent l’espace de points à peine colorés. Discret comme on peut s’y attendre, Munier n’est cependant pas avare de transmission : à 41 ans, il a déjà réalisé de nombreux livres et a fondé les éditions Kobalann* en 2010. Il s’expose dans de nombreuses galeries et festivals internationaux.
Vincent Munier expose à Gex pour cette 5ème édition une sélection d’images de l’Arctique mises en scène dans un espace inspiré du froid…
Les 10 questions Conf' à Vincent Munier
1Qu’aimeriez-vous nous dire pour vous présenter en quelques mots ?
Je suis d’abord un naturaliste, ensuite un photographe. Au départ, la photographie est un prétexte pour me fondre dans la nature…
2Quel est votre parcours photographique ?
J’ai commencé la photo très jeune, à l’âge de 12 ans, dans les forêts toutes proches de ma maison. Tout est parti de là, et de la forte émotion que j’ai ressentie la première fois que j’ai photographié deux petits chevreuils. Mon père m’avait prêté son appareil et laissé là pour plusieurs heures, caché sous une toile de camouflage. Les mois et les années qui ont suivi, j’ai ensuite tout fait pour continuer à tracer ce chemin. Pour passer un maximum de temps dans la nature, à observer les animaux et à les photographier. Je ne me suis jamais arrêté et la même passion me tient toujours aujourd’hui ! C’est bien sûr la reconnaissance du public qui rend ensuite possible de vivre de sa photo et de s’y consacrer entièrement.
3Pour vous, qu’est-ce qu’une bonne photo ?
Je dirais, une image dans laquelle le mystère reste possible. Qui laisse place à la suggestion, à l’imagination. Qui ne se donne pas entièrement au premier regard.
4Comment réalisez-vous vos photos (prise de vue, traitement, etc…) ?
Je photographie en numérique depuis 2005. Toujours dans la nature, des animaux libres et sauvages. Parfois très loin (régions de l’Arctique, plateau tibétain dernièrement), parfois tout près de chez moi, tout simplement dans les Vosges. Sur les crêtes que je parcours depuis l’enfance, dans les forêts de ma région. Le post-traitement est assez minimal, car je n’aime pas m’attarder derrière un ordinateur ! Récemment, je me suis essayé à d’autres procédés photographiques plus anciens, comme la chambre ou le cyanotype grâce à des amis photographes.
5Qu’est-ce qui les inspire ?
Généralement le rêve d’une rencontre avec un animal en particulier – je suis attiré depuis toujours par les grands prédateurs (ours, loup, lynx…) ou les grands herbivores sauvages (cerf, bœuf musqué, yak…). Mais le bonheur de voir les mésanges ou les écureuils à la mangeoire peut aussi bien me donner envie de réaliser une photo !
6Quels sont les photographes que vous admirez ?
Plus jeune, des photographes comme le Japonais Michio Hoshino, l’Américain Jim Brandenburg ou le Finlandais Pentti Sammallhati m’ont beaucoup influencé. J’apprécie aussi les univers de Sarah Moon, de Peter Lindbergh ou encore Shoji Ueda. Je rêve que la photo dite « animalière » soit mieux admise par le monde de la photo contemporaine ! Que les barrières tombent et qu’elle ne soit plus considérée comme un « sous-genre » par l’intelligentsia.
7Quelle photo aimeriez-vous réaliser ?
Peut-être photographier un jour la panthère de l’Amour !
8Quels sont vos projets actuels ?
Un prochain livre sur le Tibet et la quête de la panthère des neiges. J’ai voyagé en tout plusieurs mois sur le plateau tibétain, dans la région du Kham : j’ai eu la chance d’observer de nombreuses fois ce félin. Il est si rare qu’on dit qu’il est un « graal » pour de nombreux naturalistes. Mais aussi d’autres espèces passionnantes, et moins documentées/photographiées comme le yak sauvage, le renard du Tibet ou le chat de Pallas. L’écrivain voyageur Sylvain Tesson m’a accompagné en février dernier dans mon dernier voyage là-haut. Je travaille aussi à un film documentaire sur l’ours brun dans les Asturies (en Espagne), aux côtés de mon ami réalisateur Laurent Joffrion.
9Qu’avez-vous envie de nous montrer pendant cette édition des Confrontations Photo ?
J’espère montrer des images de l’Arctique (issues de mon livre du même nom), mais aussi de nouvelles choses…
10Pour terminer, que vous évoque l’expression « Confrontations photographiques » ?
Elle implique d’abord de montrer, de donner à voir des images au public. Mais peut-être aussi d’entrer en dialogue avec les travaux d’autres photographes : j’espère donc que l’événement sera aussi riche en rencontres !