Tiphaine Populu de la Forge

Tiphaine Populu

© Tiphaine Populu 2024

Série « Et la pluie s’arrête au seuil » © Tiphaine Populu de la Forge 2024

Les 10 questions Conf' à Tiphaine Populu de la Forge

1

Qu’aimeriez-vous nous dire pour vous présenter en quelques mots ?

Je suis Tiphaine Populu de La Forge, photographe.
J’essaie – à ma petite échelle – avec la complicité de la photographie, des mots et de tout ce qui me tombe sous la main, de défendre ce que j’ai de plus fragile et de rendre le monde un peu plus habitable.

2

Quel est votre parcours photographique ?

Deux générations de photographes me précèdent.
Pourtant, j’ai entretenu jusqu’à mes 23 ans un rapport délicat avec la photographie. Devant l’objectif, je ne supportais pas mon image. Derrière, je craignais de casser le matériel.
J’ai toujours créé. Enfant, ado, je dessinais beaucoup, je peignais, je sculptais, rien ne me faisait peur.
J’ai étudié la littérature et l’histoire de l’art mais suis venue en autodidacte à la photographie. J’ai fait mes premières images pour renouer le lien avec mon grand-père malade. Après sa mort, pour garder sa précieuse chambre d’atelier dans la famille, j’ai appris un procédé hérité de la deuxième moitié du XIXème siècle (le collodion humide sur verre) dans les manuels anciens.
J’étais convaincue d’échouer autant que persuadée de réussir. Ce rendez-vous différé avec la photographie a été aussi terrifiant que fabuleux.
Il a surtout été l’occasion de me confronter différemment au monde et de faire mes plus belles rencontres.

3

Pour vous qu’est-ce qu’une bonne photo ?

Une surprise. Un refuge en montagne, une clairière en forêt. Un électrochoc. Une parenthèse bienvenue.
Une raison de dire « rien que pour ça, j’ai bien fait de venir ».

4

Comment réalisez-vous vos photos (prise de vue, traitement, etc…) ?

Si mes idées se bousculent, ma prise de vue est lente et je fais peu d’images.
Je travaille principalement en argentique, au moyen format ou à la chambre. J’attends parfois longtemps, d’être sûre d’être « dans l’image » avant de déclencher.
Par conséquent, je photographie plus facilement l’immobile, avec le trépied comme béquille et ancrage.
Comme la synesthésie me donne à entendre les sons en couleurs et que je «sonorise» les couleurs, je choisis généralement une chromie qui m’épargne la cacophonie du réel.

5

Qu’est ce qui les inspire ?

L’inspiration pour moi, c’est surtout l’air qui pénètre dans mes poumons.
Ma respiration a toujours été un peu chaotique, je vis entre l’apnée et l’hyperventilation.
Je ne crois pas avoir de source d’inspiration à laquelle je me raccrocherais une fois perdue devant la feuille blanche.
Je fais feu de tout bois. C’est quand j’étouffe d’images et d’idées, que je ne sais vraiment plus où les ranger, que je crée.
Je tire un fil et la pelote vient avec.

6

Quels sont les photographes que vous admirez ?

J’aime André Kertész pour sa géométrie dans l’espace, Sarah Moon pour son univers en apesanteur, Irving Penn pour le poids de ses portraits ou de ses mégots, Sally Mann pour son rapport au réel, Erwin Blumenfeld pour son audace.
J’admire ceux dont les images parviennent et parviendront à nous arrêter alors que tout va trop vite, à nous éblouir dans un monde qui s’assombrit, à nous maintenir à flots quand tout prend l’eau.

7

Quelle photo rêveriez-vous réaliser ?

Trouver le moyen, la manière, de photographier quelqu’un que j’aimerais profondément.

 

8

Quels sont vos projets actuels ?

Actuellement, je négocie avec des oiseaux. Nous devrions trouver un terrain d’entente.

 

9

Quelle série nous présentez-vous lors de cette édition des Confrontations Photo ?

Je présente Et la pluie s’arrête au seuil, une série réalisée en 2020 pendant la pandémie de covid 19 et débutée pendant le 1er confinement.
Enfant, je construisais des cabanes comme on enfile des armures. Adulte, avec les outils à ma portée, ceux de l’artiste, j’ai façonné des radeaux éphémères, des refuges précaires, des cabanes symboliques pour traverser cette période difficile.
Les légumes – dernier lien avec le coin de verdure – sont devenus mon matériau de construction (avant d’être mangés). J’ai construit des structures qui nous ressemblent. Précaires au monde, elles luttent pour tenir bon. Je les ai photographiées sur les journaux quotidiens pour traduire le temps répétitif avec lequel il a fallu composer, réinventer les formes de l’isolement afin de mieux le supporter, et convoquer, à travers la nature morte, nos architectures et paysages intérieurs.
Cette série a été accompagnée par Sylvie Hugues, FLORE et Adrian Claret dans le cadre de la Fotomasterclass.
Depuis mai 2022, elle est collée au Refuge, dans le réfectoire du plus grand centre d’hébergement d’urgence de France (La Mie de Pain, Paris).

10

Pour terminer, que vous évoque l’expression « confrontations photographiques » ?

Rien ne fait Œuvre sans confrontation. Mais je me demande ce qui est le plus vertigineux : se confronter à l’autre ou à soi-même ?