Les Confrontations Gessiennes de la Photographie accueilleront cet automne un invité très spécial : Evrard WENDENBAUM. Nous parlons d’invité spécial, tout d’abord parce qu’il nous offrira une série de photos remarquables, ensuite parce qu’il présentera au public du festival la projection de son film : « Makay, les aventuriers du monde perdu ». Ce récit d’une aventure humaine et scientifique extraordinaire, réalisée à Madagascar, a déjà remporté un immense succès populaire lors de sa diffusion en prime time sur Canal + en décembre.
Vous pouvez voir la présentation de ce film en cliquant sur le lient suivant.
Dans un esprit digne des grands récits d’expédition, il nous fera découvrir la splendeur d’un monde dans le monde, vierge et spectaculaire, où une équipe de scientifiques venus du monde entier a mené une formidable campagne d’exploration : traces de l’humanité, faune, flore, règne minéral, tout est à découvrir et à protéger dans ce sanctuaire déjà menacé.
Lorsque les membres du Collectif Confrontations ont visionné la bande annonce qui suit avec leurs propres enfants, les réactions ont été unanimes : après les yeux écarquillés et les bouches grandes ouvertes, c’est avec force indignation qu’a été réclamée la suite ! Quant aux adultes qui n’avaient pas encore vu l’intégralité du film, ils se sont sentis au moins aussi frustrés …
Il y aura comme un parfum d’aventure aux deuxièmes Confrontations Photo… Vivement octobre !
http://www.evrardwendenbaum.com/
Les 12 questions « Spéciales » à Evrard WENDENBAUM
Qu’aimeriez-vous nous dire pour vous présenter en quelques mots ?
Je n’ai jamais trouvé un moyen rapide de présenter ce que je fais. Disons que c’est un peu atypique. Je dirais que je suis créateur d’aventures dans le sens où je conçois, organise et mène des expéditions depuis plus de 10 ans dans les recoins les plus inaccessibles de la planète. Il s’agissait d’abord d’aventures sportives. Aujourd’hui, ce sont plutôt des missions scientifiques naturalistes, mais toujours dans des régions où personne ne va et que peu de gens connaissent.
Par ailleurs, je suis aussi photographe, réalisateur et auteur. Je tente en effet de documenter le mieux possible, par des livres, films documentaires et expositions photos, ces différentes expériences extrêmes ou en tout cas uniques de découverte et d’exploration de milieux naturels exceptionnels.
Je dirige enfin l’association Naturevolution qui porte des projets de préservation de la biodiversité dont le projet Makay Nature qui vise à faire du massif du Makay à Madagascar la prochaine aire protégée de l’île Rouge.
Pourriez-vous nous expliquer comment est né le projet MAKAY ?
En novembre 2001, j’ai vu une émission d’Ushuaia Nature dans laquelle Nicolas Hulot survolait un massif perdu au sud-ouest de Madagascar. Les images aériennes étaient spectaculaires et le message clair : personne n’avait jamais mis les pieds dans ces profonds canyons qui font office de coffre-fort de biodiversité. Tout était à découvrir. Sous le charme de ces images et titillé par cette opportunité d’être un jour le premier à mettre mes pieds quelque part, j’ai voulu voir cette région de mes yeux.
En 2004, j’ai tenté d’y aller en vtt. Nous avons atteint les villages au pied du massif mais faute de cartes précises et de guides prêts à nous emmener, nous n’avons vu les montagnes que de loin.
En 2007, j’ai tenté une nouvelle incursion cette fois en m’aidant d’un 4×4 pour m’en approcher, histoire d’arriver un peu plus frais. Grâce aux images de Google Earth, nous avons pu pénètrer pour la première fois dans le labyrinthe de canyons du Makay et faire des repérages et collectes qui nous ont largement servi lors de nos expéditions suivantes. Les écosystèmes rencontrés étaient très variés et les paysages somptueux. La richesse en biodiversité était évidente et les trésors archéologiques également. Mais j’ai été atterré de constater les ravages conséquents aux feux de brousse à l’intérieur même du massif et de ses plus profonds canyons, alors même que personne ne pouvait y vivre. C’est cette révolte intérieure qui m’a donné envie d’agir pour la conservation du massif du Makay.
J’ai alors créé l’association Naturevolution, cherché des partenaires et monté les premières expéditions naturalistes afin de réunir le maximum d’arguments en faveur de la préservation dans ce massif exceptionnel mais menacé. Ces expéditions ont eu lieu en 2010 et 2011. En plus des actions de reboisement, d’éducation, de développement écotouristique que nous menons aujourd’hui, nous utilisons ces arguments pour demander le statut d’aire protégée pour le Makay.
Quels sont les objectifs de l’association et des expéditions ?
Naturevolution est une association environnementale qui a pour objectif d’agir pour la sauvegarde de la biodiversité, l’amélioration des connaissances sur le vivant et la modification des comportements individuels et collectifs en faveur de la nature, nécessaires au bien-être de l’humanité.
Dans cet objectif, nous nous focalisons nos activités sur quelques espaces naturels exceptionnels, particulièrement riches en espèces et largement méconnus parce qu’extrêmement difficiles d’accès.
Nous travaillons en partenariat avec les acteurs locaux, les institutions scientifiques et les médias au développement de programmes d’amélioration des connaissances et de protection de ces milieux naturels uniques au monde.
Les informations et contenus audiovisuels que nous tirons de ces programmes scientifiques sont ensuite partagés avec le plus grand nombre grâce à des films, photographies, livres, expositions, manifestations culturelles… Autant de supports pour éveiller à la connaissance du monde et sensibiliser au respect du vivant et à une gestion durable des ressources naturelles.
Comment naissent vos images. Qu’est-ce qui les inspire ?
J’avoue ne pas avoir d’idée précise de l’image que je veux ramener sauf en de rares occasions. Je ne peux d’ailleurs pas vraiment faire autrement puisque je ne sais même pas, la plupart du temps, où je vais, ni ce que je vais rencontrer. Les situations se créent et je m’adapte en fonction. La nature a cela de magique qu’elle offre toutes les plus belles lumières et toutes les mises en scène possibles. Je crois qu’il faut juste être vif et réactif, capable de mettre un coup d’accélérateur quand il faut ou au contraire attendre lorsque l’on sent que tel endroit à tel moment de la journée donnera lieu à une belle scène à photographier. Je caricature un peu mais la grande majorité de mes images sont faites comme ça.
Comment se distribuent photo et film lors de l’expédition ?
Je dirais que les grosses expéditions comme celles que nous avons menées dans le Makay ne sont pas les situations idéales pour photographier ou filmer. Je suis en effet d’abord chef d’expédition dans ces cas-là, et même si je ne suis pas tout seul et que je suis largement secondé, le temps pour filmer ou prendre des photos est juste celui qui me reste après avoir géré les équipes, le matériel, etc. Du coup, sur ces expéditions, j’ai pris le parti de ne pas m’occuper du film sur le terrain. Une équipe de tournage avec un réalisateur talentueux était sur place et cela m’a confirmé que je n’aurais pas pu tout faire moi-même.
En ce qui concerne les photos, c’est un peu pareil, mais le temps nécessaire à la prise d’une photo étant nettement moins long que le tournage d’une scène, et le matériel étant plus léger et donc, en permanence sur mon dos, c’est un peu plus facile à gérer en même temps que le reste. Dès que j’ai une minute ou une heure, je file où je peux ramener quelques clichés.
Quelles sont les contraintes pour le matériel liées aux conditions extrêmes parfois rencontrées ?
Les milieux dans lesquels j’aime aller sont souvent qualifiés d’extrêmes, que ce soit les déserts, la haute montagne, les calottes glaciaires, les forêts tropicales. Et s’ils sont extrêmes pour l’homme, ils le sont autant pour le matériel. Je ne vais pas énumérer les contraintes car elles sont nombreuses et dépendent de chaque milieu mais il faut s’imaginer quand dans une forêt tropicale, un objectif peut vite prendre l’humidité, que dans le désert, il peut vite prendre un grain de sable, etc. Bref qu’en peu de temps, on peut perdre son outil de travail. Il faut donc être très attentif. Pour ma part, étant donné les situations dans lesquelles je travaille, il est souvent impossible de faire attention car cela impliquerait d’autre contraintes rédhibitoires comme le fait d’être trop lourd, d’avoir un sac trop volumineux… C’est une histoire de compromis mais bien souvent, j’ai beau faire mon possible pour sauver ce que je peux, mon matériel prend un gros coup.
Quels sont vos meilleur et pire souvenir d’expédition ?
Il n’y a pas vraiment ni de meilleur, ni de pire souvenir car on oublie les pires et les meilleurs sont trop nombreux.
Je dirais que je souffre particulièrement de l’inaction forcée. En Patagonie en 2005, nous avons du attendre une semaine un créneau météo favorable ne serait-ce que pour mettre le bout du nez dehors. Nous sommes restés prisonniers dans un abri de fortune dans une tempête incroyable et j’ai trouvé que cette attente interminable était particulièrement difficile à supporter.
Un de mes meilleurs souvenirs ? Je citerais l’une des plus belles journées d’exploration dans une vallée verdoyante et totalement inexplorée du nord du Makay à Madagascar. Là, après quelques péripéties et jours d’effort, nous avons été tout à coup entourés d’un concert de lémurien de deux espèces différentes pendant près d’une heure. Ils se sont approchés à portée de bras avec une douceur et une bienveillance qui nous a littéralement tiré les larmes. Les rencontres animales comme celle-là sont rares et ce fut un moment très intense. Nous eumes d’autres coups de chances ce jour-là. Tout a marché parfaitement. C’est ce que l’on appelle une journée d’anthologie !
Le film « Makay, les aventuriers du monde perdu » a remporté un vrai succès lors de sa diffusion en prime time sur Canal + en décembre. Comment expliquez-vous cela ?
Je ne suis pas un spécialiste de la question mais je pense que les gens ont besoin de rêver en ce moment, ne croyez-vous pas ? Le monde semble aller de travers, les crises financières angoissent tout le monde, le futur est si incertain. Avec une situation pareille, je suis certain que le rêve et l’imaginaire ont encore de beaux jours devant eux. Et dans notre film, les personnages sont comme vous et moi, mais ils vivent une moment de rêve et le font savoir, c’est un vrai bonheur de voir avec quelle passion ils travaillent sur le terrain et le public y est sensible.
Par ailleurs, ce film laisse entendre que l’on peut encore aujourd’hui découvrir des territoires vierges. C’est une nouvelle qui inconsciemment a, je le crois, une énorme influence. Cela prouve que nous ne savons pas tout, que nous n’avons pas encore tout détruit, bref qu’il y a de l’espoir.
De manière plus pragmatique, je dirais que ce film est un savant dosage d’ingrédients qui marchent bien : Ushuaia Nature pour les belles images, Rendez-vous en terre inconnue pour l’esprit «intime» et enfin Indiana Jones pour le côté aventure.
Le 1er jour du festival des Confrontations Photo est réservé aux enfants des écoles de la région. Qu’avez-vous envie de montrer au public du festival et aux enfants en particulier au travers de vos images ?
Je rêve que tous les enfants du monde prennent conscience de la beauté de la planète, de sa richesse mais aussi de sa vulnérabilité, et qu’ils aient envie des se battre pour elle. Je rêve qu’ils soient émerveillés comme je le suis par la nature, par les animaux, parce que je suis convaincu que l’émerveillement est nécessaire à l’action. Il ne s’agit pas d’accabler mais de montrer ce qui est beau, ce que la nature nous apporte et d’expliquer dès leur plus jeune âge que l’on doit aujourd’hui réfléchir aux conséquences de nos actes, du plus anodin au plus essentiel.
Quels sont vos projets actuels ?
Je travaille à un projet d’exploration naturaliste de très grande ampleur. Il faut savoir que la biodiversité disparaît à un rythme effrayant alors même qu’elle nous donne énormément. Elle nous nourrit, nous donne de l’eau potable, de l’air à respirer, des médicaments, etc. la liste est longue. Mais nous ne savons même pas encore à quelle point elle nous est utile puisqu’alors que l’on croit tous connaître, nous ne connaissons en réalité que le dizième des espèces de la planète.
Il s’agit donc d’accélérer l’inventaire de la biodiversité pour en savoir le plus possible avant qu’il ne soit trop tard. On ne peut protéger sans connaître.
Pour respecter la tradition des « Questions Conf’ » pour vous qu’est-ce qu’une bonne photo ?
Une bonne photo, c’est celle que je ne me lasse pas de regarder. C’est très personnel je crois. Bien sûr, il y a des images qui plaisent à beaucoup de gens mais elles ne plairont jamais à tout le monde. Pour moi, c’est une image qui me transporte, qui me rappelle un bon moment, qui raconte une histoire. Il m’arrive souvent lors de mes tris de photo de devoir me forcer à me détacher de mes sentiments, de mes émotions pour essayer de me mettre à la place du public, et ce ne sont alors pas les mêmes images qui sont sélectionnées.
Pour terminer, que vous évoque l’expression « Confrontations photogra-phiques » ?
Je vous avoue que le terme « confrontation » me gêne un peu car je n’ai jamais pratiqué la photographie comme une compétition, j’aurais fait un autre métier. Je crois que la beauté de ce métier, c’est aussi de se dire que certains vont aimer telle image et d’autres telle autre, ou aucune mais plutôt le travail du voisin. Alors comme il y a autant de sensibilités qu’il y a d’hommes sur terre, je crois que l’on ne peut pas vraiment parler de confrontation. C’est juste une question de diversité de sensibilité du photographe d’une part et du public d’autre part.
Par ailleurs, il y a dans ce mot une certaine violence qui me semble contradictoire avec la photographie qui lorsqu’elle est utilisée comme une arme, est toujours une arme non violente.