« Jadis le Japon »
Au total, une vingtaine de photographies à peine, pas plus grandes qu’une carte de visite, développées sur du papier albuminé décoloré par le temps. Néanmoins, sur ces images se trouve concentré, sous sa forme la plus directe, le mode d’être des hommes et femmes ayant vécu entre la fin du shogunat et le début de l’ère Meiji, sur la péninsule encore isolée de l’Extrême-Orient qu’était alors le Japon. Pour emprunter le titre du célèbre album de Nadar, ceci n’est rien d’autre qu’une Galerie contemporaine des Japonais de la Restauration de Meiji.
Sur ces photographies apparaissent des personnes de divers âges, depuis des enfants jusqu’à des vieillards. Celles-ci sont tout aussi variées du point de vue des types humains qui y sont représentés. Aux côtés de l’Empereur et de l’Impératrice, véritables divinités dans le Japon d’alors, figurent le shogun Tokugawa et son frère cadet, personnalités régnantes de la classe guerrière, ainsi que des seigneurs, officiers et émissaires envoyés en France en tant que représentants du gouvernement shogunal, ou encore des femmes issues des classes anonymes de la population citadine, et ce jusqu’aux hôtelières, geisha, filles de joie et servantes des quartiers de plaisir.
Qu’il s’agisse de personnalités publiques ou de particuliers, qu’elles soient debout ou assises, les raisons qui ont amené ces personnes à s’exposer face à la caméra sont certainement très variées. Néanmoins, en chacune des photographies, une même tension enveloppant tout leur corps est perceptible, de même qu’une certaine perplexité émanant de leur regard. Ceci n’exprime rien moins que les sentiments complexes qu’éprouvaient alors les Japonais lorsqu’ils firent face à ce dispositif optique d’enregistrement inédit qu’est l’appareil photographique, se confrontant ainsi à une civilisation occidentale faisant irruption dans leur monde indépendamment de leur volonté.
Quant aux Occidentaux, c’est à travers ces photographies qu’ils élaborèrent une certaine image du Japon, particulièrement stéréotypée, peuplée d’empereurs, de shogun, de samouraï, de musumé ou encore de geisha issus du Japon de la Restauration de Meiji. Il va sans dire que cette image du Japon exerce encore une influence certaine dans l’imaginaire occidental. En effet, les images une fois imprimées dans nos mentalités, elles sont dotées d’un certain pouvoir de rémanence.
Ainsi, les photographies ayant figé cette époque révolue véhiculent avec nostalgie la réalité visuelle d’un Japon de la Restauration, à la fois réservé et somptueux, depuis longtemps perdu.
Interview de Jan Matas, Directeur de l’Alliance Internationale de l’Université de Lyon
1Pourriez-vous nous expliquer la genèse de cette exposition ?
Dans sa démarche à l’international, en plus de la formation et de la recherche, l’université de Lyon souhaite bâtir avec ses partenaires et avec le soutien des collectivités territoriales une nouvelle conscience internationale. Elle souhaite promouvoir les valeurs humanistes et universelles non seulement auprès de ses étudiants, ses chercheurs et son personnel mais également auprès de tous les citoyens.
En 2009, l’université de Lyon a amorcé un rapprochement avec l’université de Tokyo. En effet, la coopération entre les lyonnais et les tokyoïtes est ancienne et très riche. Au-delà des laboratoires et des salles de cours, nous avons noué un lien fort avec le Musée de l’université de Tokyo et son nouvel espace « Intermédiathèque ». Le courant est passé très vite entre le président de l’époque, Michel Lussault, et le directeur Yoshiaki Nishino et son équipe.
En octobre 2011, nous avons accueilli à Lyon une importante délégation d’universitaires de Tokyo. Plus de 150 personnes sont venues travailler pendant une semaine. L’équipe du Musée en a fait tout naturellement partie des convives. A cette occasion, nous avons organisé à Lyon trois expositions avec le Musée de l’université de Tokyo. Ces expositions ont attiré beaucoup de monde, plus que l’on aurait imaginé : aux musées Gadagne, au Musée des Tissus ou encore devant l’Hôtel de Ville où étaient exposées les panneaux réalisés à partie des photographies de la collection Christian Polak.
Ces expositions et le volet culturel que nous souhaitions donné à un événement universitaire, nous ont permis de mobiliser et parler à un large public, dépassant volontairement les murs de l’université. L’idée d’une itinérance de l’exposition « Jadis le Japon » est ainsi née de ce succès et de l’intérêt que le public a porté au Todai Forum 2011 à Lyon.
2Quel sera le parcours de « Jadis le Japon » et à quelle occasion ?
Après l’étape à Gex, l’exposition « Jadis le Japon » partira à Genève. Avec l’université de Genève, nous souhaitons célébrer, au Parc des Bastions, le 150ème anniversaire des relations diplomatiques entre la Suisse et le Japon. Dans ce sens, l’itinérance à Genève apportera une pierre complémentaire à une coopération universitaire innovante que l’université de Lyon souhaite construire dans un monde globalisé.
J’espère que nous allons pouvoir mettre en place prochainement une autre itinérance à São Paulo. Nous y avons un lien fort avec l’université de São Paulo. Nous partageons avec elle une même vision de l’importance de la culture dans les coopérations internationales.
Une autre étape pourrait être réalisée à Lyon notamment après l’ouverture du nouveau Musée des Confluences. Cette itinérance mettrait en valeur le lien historique que les lyonnais ont avec le Japon mais également soulignerait des liens actuels fortement soutenu par la métropole lyonnaise.
3Qu’évoque pour vous l’expression « confrontations photographiques » ?
Lors de l’exposition « Jadis le Japon » à Lyon, les panneaux photographiques ont été accrochés aux grilles de l’Hôtel de Ville. Les regards des passants ont été captivés dès le montage de l’exposition. Pendant deux semaines d’exposition les lyonnais, les passants et les touristes ont pu se confronter aux postures, aux visages ainsi qu’aux regards de ces japonais, nobles ou simples serviteurs, venus d’un autre temps. Je suis convaincu qu’en observant ces photographies, ces instants figés, ces expressions humaines, chacun a ressenti des émotions. Par cette confrontation due à la convergence de leurs chemins, les passant ont été amenés, ne serait-ce que pendant quelques secondes, à penser « le Monde ».
« Confrontations photographiques » peuvent aussi être les confluences des regards et convergences des esprits. En effet, aujourd’hui dans un monde globalisé, fragilisé par une période de conjoncture économique difficile, il me semble essentiel d’avoir l’occasion de confronter nos regards – nos regards spatiaux ainsi que nos regards temporels – afin de renforcer la compréhension mutuelle des cultures et la tolérance entre les humains.