Sabine Weiss

Invitée d'honneur des Confrontations Photo 2016
Sabine Weiss - mars 2016

© Yoann Tessier 2016

SABINE WEISS était présente à Gex pour évoquer avec le public sa longue carrière internationale, au travers d’une passionnante sélection de ses photographies

Sabine WEISS reçoit ses invités dans son petit appartement parisien, niché entre deux arbustes au fond d’une cour sombre. Franchir sa porte vous téléporte instantanément dans un autre monde où, autour de la table basse, chaque parcelle de mur est recouverte de livres, de tableaux et dessins, de reliques chrétiennes ou d’ex-voto. Ici des statues, là un bouquet, des meubles anciens, une cheminée, pas de photo… Un chat câlin vient vous saluer, tandis que la maîtresse de maison vous accueille avec son sourire bienveillant au milieu des souvenirs d’une longue vie où elle a glané tant d’objets, d’images, de rencontres.

Avant tout, Sabine WEISS vous questionne, s’enquiert de votre vie, de votre projet avec une simplicité touchante. On pense à Jean MOHR qui nous avait reçu de même chez lui à Genève, car au-delà de cette capacité d’accueil et d’écoute, on retrouve dans les images de ces deux photographes la même humanité et cette alchimie entre la maîtrise de la lumière, la recherche de la juste composition et les sujets si simples qu’un autre les aurait peut-être négligés. Sabine WEISS parle de sa jeunesse, non loin du Pays de Gex qu’elle connait bien, raconte ses débuts, tous les artistes qu’elle a rencontrés, modèles, amis, et son époux, Hugh WEISS, célèbre peintre américain qui partagea sa vie dès 1949.
Elle évoque bien sûr les photographes qu’elle admire : Doisneau ou Ronis, Lartigue qui magnifiait les siens au quotidien, tant d’autres…

http://sabineweissphotographe.com/

© Sabine Weiss 2016

Quand à dix-sept ans, au bord du lac Léman, elle prend la décision de devenir photographe, Sabine WEISS ne sait pas que quatorze ans plus tard, trois de ses images seront sélectionnées par Edward Steichen pour intégrer « The Family of man » au MoMa de New-York. De cette légendaire exposition jusqu’à nos jours, elle n’a cessé de poser son regard profondément empathique, réellement plein d’affection, sur ceux qu’elle a croisés. Connue dans le monde entier pour son professionnalisme et sa grande rigueur technique, elle a été sollicitée par Vogue, Life, ou le New York Times avec qui elle a collaboré de longues années. Mais en marge de ses nombreux travaux pour les plus prestigieux magazines, elle a cueilli d’un continent à l’autre, comme au cours des promenades parisiennesqu’elle affectionne tant, les instants de vie de ses contemporains, des jeux d’enfants, des scènes champêtres et des rues animées, toujours « en passant » bien sûr. Là est son œuvre, là sont les fantastiques nocturnes autant que les portraits qui ont fait de ce pilier de l’agence Rapho l’une des figures majeures de la photo humaniste mondiale.

Aujourd’hui Sabine WEISS ne photographie plus, mais ne cesse de penser image. « Je recadre sans arrêt !» dit-elle en évoquant des objets sur une table, une femme qui passe. Elle travaille beaucoup sur ses milliers de négatifs, à ses expositions, et avec patience, modestie et humour, se consacre admirablement à ceux qui la sollicitent, comme à Gex où elle sera présente pour évoquer trois quarts de siècle d’une vie d’images.

5 questions à Sabine Weiss

1La série qui sera exposée à Gex s’intitule « En passant ». Pourquoi ce titre ? Que regroupe cet ensemble de cinquante images ?

« En passant » évoque parfaitement la manière dont je photographie : je glane des images au gré de mes pérégrinations, sans but précis, sans idées préconçues. « En Passant » est ainsi devenu le titre de ma deuxième exposition en France présentée en 1978 au Centre Culturel de Châtillon, et d’un livre édité pour l’occasion aux éditions Contrejour. Avant cette exposition, et celle du Centre culturel Noirot à Arras la même année, je n’avais jamais pris le temps de puiser dans mes archives dans le but de faire une exposition. Cette série de photographies que vous exposez à Gex est très importante pour moi car elle résume tout ce qui me touche dans ma photographie. C’était à l’époque un retour sur plus de 30 années de photographie personnelle. Je dois beaucoup à Robert Doisneau pour ses précieux conseils et à Claude Nori pour la réalisation du livre. Cette exposition a beaucoup voyagé, en France et à l’étranger depuis 1978. J’y ai apporté l’année dernière quelques nouvelles images, trouvées au fil des recherches dans mes planches-contacts. Je ne photographie plus aujourd’hui mais je travaille énormément sur mes archives.

Extrait de la préface du livre «En passant» par Léone de Grandville : «(…) Ainsi s’est amoncelée cette moisson d’images, que, forçant ses défenses, nous effeuillons aujourd’hui comme une sorte de journal intime. Car tant de clichés, pris au hasard de la route, s’ils sont l’œuvre d’une très bonne technicienne, trahissent avec une constance significative la richesse intérieure d’un être, curieux de tout ce qui est humain. Pour qui sait voir, le monde est un vaste théâtre dont la rue est la scène privilégiée. L’homme y promène sa détresse et y trompe sa solitude. C’est pourquoi Sabine Weiss, la secrète, la tendre, aime la rue, les cafés, les places publiques, les fêtes, les rites, ce qu’ils racontent, ce qu’ils cachent, ce qu’ils laissent deviner (…)»

2Les Confrontations photos 2016 souhaitent mettre en avant le travail photographique féminin. D’après-vous, la place des femmes dans la photographie a-t-elle beaucoup évolué depuis vos débuts ?  Pourquoi ?

Je n’ai jamais eu de problème à trouver ma place dans la photographie. J’ai toujours beaucoup travaillé. J’étais très sollicitée par les agences de publicité à Paris et par des revues en France et surtout aux Etats-Unis pour tout type de travaux de commandes, reportages, séries de mode, …. Je maitrisais parfaitement toutes les techniques photographiques, je pouvais répondre à n’importe quelle commande. C’était assez rare finalement à l’époque pour une femme ! Je connais mal la situation des femmes dans la photographie aujourd’hui mais il me semble qu’il s’agit surtout d’une histoire de talent et d’opportunités.

3Le festival consacre la plus grande part du premier jour aux enfants des écoles et collèges. Comment présenteriez-vous vos photographies et peut-être plus largement votre vie de photographe aux enfants qui découvriront votre travail ?

Je serai heureuse de leur présenter une époque si différente. Je leur expliquerai toutes ces rencontres merveilleuses aux quatre coins du monde mais aussi juste en bas de chez moi. Je pourrai leur transmettre l’importance d’être curieux de tout, de saisir chaque moment, avec le regard ou l’appareil photo, peu importe. Je leur montrerai ma photographie préférée, ces enfants qui «jouent au cheval» en Espagne en 1954 et qui est justement la couverture du livre «En Passant». Et je leur dirai que j’ai aimé par-dessus tout photographier les enfants !

4Quels sont les photographes et artistes que vous admirez particulièrement ?

Comme je le dis souvent, j’ai tellement travaillé dans ma vie que j’avais peu de temps pour regarder ce que faisaient les autres artistes. J’allais très peu dans les expositions. Mon mari Hugh était peintre et nous étions également occupés avec son travail et ses expositions. Mais je dois vous dire que j’ai été très petite sensibilisée par ma mère à l’art et aux belles choses. Nous allions très souvent dans les musées ensemble, dans les églises aussi. De là me vient ce sens de l’esthétique et de la lumière. Et de mes travaux de commandes, très dirigés, le sens du cadrage et de la composition. J’affectionne particulièrement les photographes de ma génération, Doisneau, Boubat, Ronis, Marc Riboud. Je trouve l’œuvre de Lartigue incroyable. J’aime les auteurs qui documentent leur époque. En peinture je citerai Chardin dont j’aime particulièrement les natures mortes.

5Pour terminer, qu’évoque pour vous l’idée de « Confrontations » dans le monde de l’Art ?

L’idée de Confrontations dans le monde de l’Art m’évoque la rencontre, le choc des époques et des styles qui permet aux œuvres de se valoriser l’une l’autre. Des «Carambolages» pour citer la récente exposition de Jean-Hubert Martin au Grand Palais. Je suis ravie de ces nouveaux dialogues artistiques cet automne à Gex !