Lettre d'Olivier Robert, Directeur du festival Confrontations Photo

LETTRE A CEUX QUI PENSENT QUE JE MÉPRISE LES PHOTOGRAPHES

Cher(e) ami(e) photographe.

Pour la première fois en douze années à la direction du festival des Confrontations Photo, je souhaite sortir de ma réserve. Je m’en excuse par avance, bien conscient de jouer malgré moi le jeu pervers des réseaux sociaux. Mais aujourd’hui, la coupe est pleine. J’aimerais pour une fois te répondre, ainsi qu’aux personnes qui multiplient les attaques contre notre festival depuis quelques jours. Je comprends ta lassitude, mais elle n’excuse pas les critiques injustes qui confinent à la diffamation. Soupçonner de mépris nos intentions et notre pratique, c’est attaquer l’équipe, c’est attaquer nos partenaires et c’est m’attaquer personnellement.

Pour en finir avec les remarques infondées de ceux qui ne lisent qu’en diagonale ou qui ne s’informent pas suffisamment, je t’affirme que je suis absolument pour un droit de monstration, je le souhaite et je le demande depuis longtemps. Mais aujourd’hui, la réalité économique dans laquelle nous évoluons nous oblige à faire des choix. Même si des droits de monstration sont inscrits noir sur blanc dans notre prévisionnel, nous ne les mentionnons pas dans nos règlements car certains financements sont trop hypothétiques. Nous en reparlerons plus loin.

Évoquons tout d’abord les critiques diverses apparues à cette occasion :

Je lis qu’on devrait réaliser un festival uniquement après avoir récolté les fonds suffisants. C’est une très belle idée vraiment et on l’a déjà eu. Mais en pratique elle est utopique. Elle rendrait d’ailleurs mort-nés la plupart des événements photographiques car grand nombre de financements sont aléatoires et certains n’arrivent que très tardivement. Sais-tu que pourtant, la plus grande part de mon travail préparatoire est la recherche de fonds ? Malgré la difficulté de cet exercice, toute l’équipe avance avec courage et sans doute une certaine dose d’inconscience pour réaliser un projet de cette ampleur. Sans cela, on ne ferait jamais rien. Avec l’idée d’un budget préalablement réalisé, tous les petits festivals disparaitraient et il ne resterait que 5 ou 6 événements photographiques français par an. Crois-tu vraiment que ce serait plus facile pour les milliers de candidat(e)s photographes qui sont sur les rangs ?

Je lis aussi qu’en raison de nos pratiques, nous ne serions qu’un festival amateur fait pour les amateurs. Il y a tant de mépris, et de prétention dans ces remarques qu’y répondre serait faire affront à tous les créateurs qui nous ont fait confiance. Les images qui nous séduisent ne dépendent fort heureusement pas du statut de leurs auteurs mais bien uniquement de leur talent.

J’entends qu’il serait scandaleux de faire appel à une librairie locale pour vendre tes ouvrages. Tu ne sais sans doute pas qu’en tant qu’association nous n’avons pas le droit de nous substituer à ce commerce. En attendant, notre libraire partenaire passe tes commandes, gère les stocks, se débrouille avec tes invendus, etc… Tu n’as pas bien lu assurément, car même s’il gère toutes les ventes, il ne prend sa part que sur les bouquins. Du coup, ton espace est sacrément plus attrayant s’il ressemble davantage à une galerie d’art qu’à un étalage de goodies.

J’entends d’autre part les cris d’orfraie de photographes visiblement gênés à l’idée d’être présents durant quelques jours face à leur public. J’en suis navré, j’allais dire consterné. Chez nous, pas d’invité fantôme que le public va chercher tout un week-end. De l’amateur au professionnel, du primo exposant à l’invité d’honneur, on se confronte au public et en particulier aux milliers d’enfants qui franchissent gratuitement nos portes. Ça, ça fait partie de ton travail ! Et puis, le sens premier du mot confrontation n’est pas un terme belliqueux. Tu le savais déjà, j’espère ?

Parlons de nos scandaleuses conditions maintenant : Concrètement, à chaque édition, le festival accueille durant 4 jours entre 25 et 30 photographes amateurs ou professionnel(le)s en respectant la parité et selon les mêmes conditions, qu’ils/elles soient invité(e)s ou issu(e)s de l’appel à exposer. Je ne parle même pas des expositions Hors les Murs qui durent 1 mois.  Nous logeons nos invité(e)s, ainsi que leurs accompagnant(e)s, nous leur offrons leurs repas, nous assurons et sécurisons les œuvres, notre appel à exposer est gratuit. Comme nos conditions contractuelles ne sont pas psychorigides et que nous sommes à l’écoute des professionnel(le)s qui en ont besoin, nous acceptons toujours d’entrer en matière concernant les défraiements kilométriques. Nous produisons certaines œuvres et nous assurons certains transports sur demande. Bien sûr nous ne prélevons aucun pourcentage sur les ventes et ne louons pas nos espaces d’exposition. Ceux-ci sont aménagés avec soin, souvent mis en scène car la marque de fabrique du festival est de proposer aux photographes et au public des expositions différentes : des espaces qu’ils n’oublieront pas. Alors d’accord, ce n’est pas parfait mais de là à parler de mépris…

Le constat est donc simple : si nous voulons t’accueillir dans ces conditions, nous ne pouvons pour le moment t’accorder un droit de monstration, à moins d’obtenir les moyens que nous demandons à corps et à cris depuis des années. Ce serait une formidable évolution.

A l’inverse, nous pourrions déjà te garantir un droit de monstration minimum, mais au prix d’une prestation au rabais, en tout cas bien peu attrayante pour le public et donc bien peu bénéfique pour toi. Et puis les 200 Euros de droit seraient largement dépassés uniquement avec nos nuits d’hôtel, nos repas, nos assurances, etc…

Si tu penses qu’un espace moche, ou que ton absence devant tes propres images, ou qu’un étalage qui ne tient pas compte du public ou qu’un agencement général improvisé va te servir ou déclencher un achat coup de cœur, crois-moi, tu te trompes de stratégie. Tu te trompes tout autant si tu penses qu’un invité d’honneur admirable n’est pas un atout pour l’exposition.

Tout à ta légitime colère, tu sembles oublier les bases de la scénographie, de la mise en scène et des mécanismes de déambulation du public. J’allais ajouter aussi du marketing… C’est un comble pour des artistes qui veulent vendre. Mais ce n’est pas très grave, car nous, on commence à bien savoir faire tout cela pour toi. Et, puisque nous sommes obligés de faire des choix, nous décidons de mettre le paquet pour que tes images soient mises en valeur.

Pour pouvoir tout te proposer, il faudrait obtenir un budget arlésien. Je ne l’ai pas. Ce n’est pas faute d’essayer, je t’assure.

Les Confrontations Photo, c’est un petit festival de province, organisé par une association indépendante. Il est entièrement géré par une poignée de bénévoles enthousiastes : nous ne sommes que 16 cette année… Nul salarié et nulle rémunération. Même pas un permanant… Petit budget mais deux années de travail acharné pour préparer chaque opus, de l’énergie, beaucoup de débrouille, des partenaires formidables et de vraies compétences. Ah, j’oubliais : beaucoup de plaisir.

Je ne sais vraiment pas ce que tu as pu imaginer mais notre modeste notoriété semble te faire fantasmer. Notre programmation et nos mises en scène te font-elles croire à des budgets somptueux ? C’est vraiment flatteur, car dans la réalité, chaque édition des Confrontations Photo est un coup de poker financier pour lequel nous nous mettons personnellement en danger. La précédente édition est vraiment passée de justesse car près de la moitié de nos sponsorings et subventions n’ont été versés que plusieurs mois après voire l’année suivante. Tu le savais ça ? C’est pourtant le quotidien des petits festivals que tu es si prompt à étriller…

Quoi qu’il en soit, nous n’avons attendu personne pour nous soucier du sort des photographes :

Dès 2019, j’ai adressé au ministère de la Culture un courrier exprimant nos attentes quant à la problématique des droits de monstration. J’ai ensuite pu échanger à ce sujet avec la déléguée à la photographie de l’époque.

Bien avant cela, j’ai interpellé quelques collègues directeurs de festival avec le projet d’une fédération permettant de mutualiser nos moyens. J’espère que cela pourra se faire.

Depuis 2020, nous récompensons de jeunes photographes grâce au Prix Voltaire…

Depuis 2021, nous travaillons avec nos collectivités locales pour créer un label culturel en vue d’améliorer notre visibilité et nos moyens.

Les choses avancent, doucement…

Cette année, et bien avant tes remarques, notre budget prévisionnel a prévu un droit de monstration généralisé. Dans ce but, nous demandons une augmentation des subventions à l’ensemble de nos partenaires publiques et privés. J’ai également déjà demandé à rencontrer l’ensemble des collectivités qui nous soutiennent afin de justifier notre demande. Oui, je dis bien justifier notre demande car l’argent public n’est pas un dû, il se justifie, se mérite aussi parfois et demande toujours de longues heures de travail. Quant à l’argent privé il est extrêmement rare pour le monde culturel, comme tu le sais. Factuellement, à 6 mois de l’ouverture nous n’avons aucune garantie concernant nos apports financiers. Le droit de monstration ne peut donc être envisagé que comme une bonne surprise concluant un exercice clairement bénéficiaire. Je le souhaite ardemment.

Que de justifications pour mettre quelques points sur les i…

Alors, à toi qui a osé penser que je méprisais les photographes, j’aimerais déjà exprimer mon souhait de voir remplacer tes réactions aveugles, sourdes et mal informées par un militantisme éclairé qui tiendrait compte de la réalité du terrain. Un peu de discernement en somme qui permettrait de dialoguer avec l’ensemble des acteurs de notre secteur. Travaillons ensemble à l’amélioration du système, j’en serais heureux. Parce que tout de même, j’espère que tu ne penses pas que les directeurs de festival doivent trouver seuls les solutions ?

Tu souhaites dresser une liste noire et boycotter les « mauvais festivals » ? Soit, c’est très à la mode et assurément un peu simpliste. On donne des notes à tout le monde de nos jours, de l’épicier au médecin en passant par la galerie d’art. Bien sûr on s’y adonne sans étudier ni le contexte, ni tous les critères, c’est tout de même plus facile. Les réseaux sociaux servent à cela, je ne suis pas naïf. Et après ?

Je te propose à la place de faire l’expérience à long terme du bénévolat au service des photographes et du public. Nous cherchons du monde pour aider en mars. Je t’invite également à passer des centaines d’heures avec nous pour préparer en amont des dossiers de demande de subvention, des plaquettes de sponsoring, des dossiers de rescrits fiscaux, pour négocier des repas, de la communication ou pour imaginer puis réaliser de belles expositions.

Oui, la rémunération des auteurs photographes pose de vrais problèmes.

Non, les festivals ne sont ni le creuset d’une terrible injustice visant les photographes, ni les repères de malveillants mercantiles et irrespectueux. Cherche des responsables ailleurs qu’au sein de nos équipes bénévoles car nos conditions contractuelles sont le reflet de nos modestes moyens et non de nos mentalités.

Je ne porterai jamais de jugement sur toi si tu n’acceptes pas nos conditions et aurai juste le regret de ne pas avoir eu les moyens de t’exposer…

 Car je t’aime bien photographe, je te respecte et j’ai beaucoup de plaisir à travailler pour et avec toi. Mais tu devrais tout de même faire attention à tes attaques sans discernement. Malgré leur affection pour le métier et ses acteurs, je connais bon nombre de directeurs de festival qui passent déjà la main, lassés qu’on se trompe toujours de cible. Je n’en suis pas loin ce soir. Si tu continues avec cette stratégie tu perdras des alliés pourtant dévoués et désintéressés. Il ne restera alors en France que quelques grands événements réalisés pour une très belle élite, quelques galeries survivantes et puis plus rien pour toi.

En ce sens voici ce qui déjà concluait ma lettre au ministre de la Culture :

… Cependant, il n’est guère constructif d’être seulement conscient d’une situation qui ne convient finalement à personne. Il faut agir… Résolument optimistes et portés par l’enthousiasmante émulation que crée l’univers photographique, nous souhaitons trouver des solutions pragmatiques et contribuer à construire un système juste et viable où artistes et public pourraient se confronter dans des conditions satisfaisantes pour tous.

Si tu le permets maintenant, j’aimerais profiter de cette lettre pour saluer bien amicalement les centaines d’invité(e)s, autrices et auteurs talentueux qui ont accepté nos imparfaites conditions d’accueil depuis tant d’années. Je remercie infiniment nos invités d’honneur prestigieux qui ont fait confiance à notre petit festival au bout de la France. Je crois pouvoir affirmer qu’ils ont tous aimé notre travail.

J’en profite pour donner rendez-vous à notre public fidèle et à ceux qui nous découvrirons. Au mois de mars, nous vous promettons d’exposer des photographes merveilleux.

J’en profite surtout pour embrasser très affectueusement les directeurs, les bénévoles admirables qui font vivre les dizaines de festivals français et tout particulièrement l’équipe des Confrontations Photo.

Olivier ROBERT
Directeur du festival des Confrontations Photo
7 octobre 2023